26 août 2013

Droits humains: la place de Jean Ziegler est au banc des accusés

Le professeur Jean Ziegler n’a cessé de soutenir des dictateurs, passant sous silence leurs turpitudes au nom de leurs mérites «révolutionnaires». La Suisse a tort de soutenir sa candidature à la commission consultative du Conseil des droits de l’homme, plaide Fabio Rafael Fiallo, économiste et ancien haut fonctionnaire de la Cnuced
Fabio Rafael Fiallo
Cela fait un bail. Mais je me souviens quand même. Je me souviens qu’au milieu du siècle dernier, j’avais 5 ans quand mon grand-père disparut inopinément. «T’inquiète pas petit, papi est à l’hôpital, soigné pour une légère infection, mais il nous reviendra bientôt», me disait-on alors, comme pour apaiser mes craintes de ne plus le revoir.
Je me souviens aussi que plus tard, grand-père de retour, il m’expliqua qu’en fait, ce n’était pas dans un centre de santé qu’il avait séjourné, avec d’ailleurs deux de ses frères, mais dans une prison immonde. Il m’expliqua également que ce n’était pas la première fois qu’il avait été incarcéré, qu’il lui fut arrivé de passer des semaines entières, voire des mois interminables, dans une cellule d’un mètre cinquante de long, une cellule plus petite que sa taille. Il m’expliqua enfin, les yeux rougis de colère et en même temps de fierté, la raison de ces emprisonnements: il refusait de collaborer avec la dictature qui sévissait dans notre pays en ce temps-là.
Ma famille était, pour faire bref, une famille de dissidents. La dictature en question était celle de Rafael Trujillo, qui gouverna la République dominicaine de 1930 à 1961.

22 août 2013

La sidérante bigarrure des démocraties modernes

  
Jan Marejko
Philosophe, écrivain, journaliste
22.08.2013
lesobservateurs.ch


Lorsqu’on établit que la souveraineté du peuple est illimitée, on crée et l’on jette au hasard dans la société humaine, un degré de pouvoir trop grand par lui-même, et qui est un mal, en quelques mains qu’on le place.
Benjamin Constant

Pendant deux mille ans, l’Occident s’est méfié de la démocratie comme de la peste. Nul régime ne semblait conduire plus directement à la dictature. Cette méfiance a commencé avec Platon, s’est prolongée avec saint Thomas, a culminé avec Calvin et sa théocratie. Il faut attendre la Révolution française et le coup de pouce de Jean-Jacques Rousseau pour que ce type de régime retrouve la faveur du public et des intellectuels. Aujourd’hui, le chœur des démocrates étouffe toute autre musique.L’itinéraire de Jean Ziegler montre pourquoi nos ancêtres se méfiaient de ce type de gouvernement. Tout en clamant son amour du peuple, ce tribun suisse n’a cessé de se rapprocher de nombreux dictateurs et les a défendus. Non seulement Kadhafi, comme l’a rappelé Pierre Weiss sur ce site, mais aussi  Mengistu Haile Mariam, dictateur d’Ethiopie, Robert Mugabe, dictateur du Zimbabwe, et son ami de toujours, Fidel Castro, dictateur de Cuba. Comme si, en proclamant urbi et orbi la suprématie de la démocratie, on flirtait avec son contraire.

C’est inévitable. En appeler à la démocratie dans des pays comptant des millions d’habitants, c’est n’en appeler à rien car le peuple, outre ces millions, ce sont des classes sociales, des partis, des associations, des croyances, des Chrétiens, des Juifs, des Athées, des Musulmans, des Bouddhistes, des ethnies, des hétérosexuels, des homosexuels, des bisexuels et des transsexuels. Ce que Tocqueville appelait encore des corps intermédiaires s’est métamorphosé en une infinie et sidérante bigarrure. Le peuple est une entité si immense, si complexe, que personne ne peut le repérer et que personne ne peut parler en son nom, ni les gouvernants, ni les gouvernés. La conséquence est que n’importe qui peut se réclamer du peuple et se proclamer son porte-parole. Pas de danger puisque, comme Benjamin Constant l’a observé, on ne peut convoquer le peuple pour lui demander si ce que disent ses représentants est correct. Au nom d’un peuple impossible à désigner ou à repérer, on peut dénoncer jusqu’à plus soif la corruption, l’incompétence et tous les maux possibles et imaginables. Là aussi, Jean Ziegler présente une pathologie typique. Dès les années 70, en Suisse, il dénonçait des groupes de pressions économiques qui étouffaient la sacro-sainte volonté populaire. A cette époque, ce n’était pas trop grave. Ce guignol n’empêchait pas la société civile de fonctionner avec ses divers représentants dans les parlements fédéraux, cantonaux et municipaux, dans les partis, les syndicats et associations économiques. De plus, on l’écoutait avec un certain plaisir car, contrairement aux responsables de corps intermédiaires, il parlait fort et simple, au lieu de s’abîmer dans d’ennuyeuses considérations techniques.